03/04

3 avril : Je vous ai (enfin) compris : suis-je bête ...


 J’écoutais pourtant d’une oreille distraite.

 

On parlait de déconfinement : il serait tardif, par groupes ou régions, étalé dans le temps et non sans avoir testé auparavant les populations.

Je compris enfin : la stratégie était bien, comme celle du trublion anglais, d’attendre patiemment cette « immunité collective » qui nous protègerait définitivement du mal. Nous garderons nos précieux tests pour l’après, essayant seulement de soulager les plus atteints plutôt que de les soigner tôt et tenter ainsi de juguler la bête.

La pantomime de la semaine n’était pas qu’un simple conflit entre carabins, mais une stratégie bien réfléchie entre combattre ou laisser faire. Il n’empêche, mes conceptions républicaines surannées étaient un peu contrariées : qu’une décision de telle importance ait été prise, en catimini et seulement entre experts et ministres a un parfum d’ancien régime.

 

 Il faudra donc reprendre les habitudes anciennes d’un journal satirique paraissant le Mercredi et écrire plutôt une chronique de la Cour.

 

Je m’y risque : Essayons un court résumé de cette affaire :

 

 

En l’an de grâce 2020, un mal nouveau, œuvre du Malin, s’abattit sur le monde.

Il se découvrit au pays du Grand Mongol. Ce monstre, athée et blasphémateur entre tous, mais fort puissant, l’avait tout d’abord caché. Tout au plus, concédait-il une petite fièvre bizarre, aux hommes donnée par la fréquentation ou consommation d’animaux monstrueux.

On s’aperçut cependant de la supercherie et le Mogol, pour couper court, fit embastiller sur place toute une province. La peur s’empara de la Terre, essentiellement, d’ailleurs, à cause des épices qui ne nous parvenaient plus de ce lointain pays.

Les choses allaient ainsi quand la sainte Italie fut elle-même touchée. On s’empressa d’enfermer les gens chez eux, ne leur laissant que la liberté de quérir les quelques pâtes utiles à leur survie.

Plus grave, on leur interdit les offices, la Sainte Messe et le Pontife lui- même dut se cacher. Le diable en profita, la fièvre, peste nouvelle, frappa durement les contrées du nord puis se porta dans le pays tout entier.

Ils n’en mouraient pas tous, certes, mais beaucoup furent emportés dans de sinistres charrettes. La peur s’installa, en même temps que le fléau progressait.

Le pays suivant à être atteint fut la très catholique Espagne.

Dans notre royaume, des mécréants, assemblés autour d’un pasteur ayant rejeté notre Sainte Eglise, en répandit le mal, prouvant ainsi au peuple que le fléau était bien de nature diabolique.

On se mis à trembler. Le Roi se montra aux lucarnes, tint un discours martial et dit à chacun de rester chez lui, pourvu que le commerce n’en soit pas trop affecté et que le Trésor Royal n’en pâtit pas trop.

On fit ainsi, et pour marquer la détermination royale, on dépêcha maints dragons dans les provinces afin que le menu peuple se sente fermement tenu par le licol. La chose avait son utilité, et, curieusement, les gens ainsi emprisonnés se croyaient à l’abri du fléau.

Las, le mal poursuivait son œuvre et les charrettes mortuaires, nombreuses étaient à la vue de tous. On tenta bien d’en cacher quelques-unes, mais le mal était fait et le Grand Conseil perplexe.

Les carabins n’avaient plus ni becs ni gants, et le grand hôpital, œuvre d’un lointain aïeul de sa majesté n’était plus celui des « quinze-vingts » mais tout au plus celui des « quatre et quatre sont huit », il fallait agir et rassurer le Roi.

On lui représenta que le fléau s’éloignerait de nos côtes, le diable lui-même ne pouvant grignoter tout le monde. Certes, on perdrait beaucoup de sujets, mais les plus résistants, les fidèles et les pieux, n’en seraient que plus forts, armés à tout jamais contre la grande maladie.

D’ailleurs, il serait facile de cacher aux yeux du peuple l’ampleur du désastre ou la nature exacte des maux ayant arraché les plus anciens à l’affection des leurs.

Il restait toutefois un problème : quand on libèrerait tous les sujets, n’éclateraient-ils pas, déjà en de joyeuses fêtes, puis, intrigués par quelques pieux mensonges, à eux distillés pour tromper leur ennui, ne se retourneraient ils pas contre le Grand Conseil, ou qui sait, contre le Roi lui-même ?

L’exercice fut difficile. On imaginât alors de ne libérer nos sujets que précautionneusement, poignée par poignée, en s’assurant de leur guérison. Plus de grandes fêtes dans le royaume et plus de jacqueries … Quelques pistoles distribuées judicieusement et avec parcimonie, le peuple serait satisfait et le royaume à nouveau calme et prospère.

Le Roi fut convaincu.

Rasséréné, le soir, il reprit deux fois de la crème et honora la Reine.

 

A demain,