Grandes distances : les "randonneurs"


A nous mêler aux habitudes et pratiques usuelles des cyclotouristes des années 70, nous n’en avions pas tout à fait oublié nos « premières armes », ni l’usage normalement dévolu à la bicyclette …

Dès  avant l’adolescence et, pour moi, la première mobylette, nos vélos nous avait servi de moyen d’évasion. Curieusement, nos premières « grandes balades » enfantines (une douzaine d’années, je crois) furent, pour moi comme pour mon épouse, en direction de la même ville : Saint Claude : elle depuis Saint Laurent du Jura (une bonne soixantaine de kilomètres  et une belle bosse) et moi depuis Lons le Saunier (plus de 110, avec dénivelé) … Pour moi, la chose, agrémentée d’un peu de marche à pied dans la montée principale, s’était fini à la nuit tombée. Mon père était absent, ma mère ne me disputa pas. Plus tard, il y eu nos voyages à vélo, notre virée vers la mer avec notre ami Gaby.

Nous ne pouvions nous résoudre à voir dans  le vélo cette  simple « machine sportive » qui semblait faire le bonheur de la plupart de mes compagnons.

 

J’en vins à me pencher sur d’autres pratiques cyclistes : les récits ne manquaient pas. Et puis, il y avait encore un petit noyau de « randonneurs » qui maintenaient la tradition du « maître » Paul de Vivie, dit Vélocio  (voir sur une section « Pâques en Provence », la présentation du personnage..)

 

Ils avaient toujours à cœur de faire la promotion de leur machine, au rendement donné comme parfait (c’est vrai qu’une machine, qui, animée par nos 250 w de force musculaire permet de parcourir des distances comparables à un véhicule automobile 200 ou 300 fois plus puissant peut être considérée comme exceptionnelle !!!)

 


Un club, l’AUDAX CLUB PARISIEN,  gérait ce « patrimoine intellectuel» en organisant, chaque année les « Fléches Vélocio » en direction de la concentration traditionnelle de Pâques en Provence. Il s’agissait de réaliser, dans cette direction, en 24 heures précises et sans assistance, la plus grande distance possible. Tout les 4 ans, était aussi organisé un PARIS BREST PARIS soit un peu plus de 1.200 kms. Nous fûmes tentés pas ces organisations « prestigieuses » et notre première expérience fut de tenter une « Flèche Vélocio ». La chose s’effectuant par équipe de 3 à 5 « machines », deux amis, Jean Paul et Gérard se joignirent à nous. Munis de nos « cartes de route », car il fallait pointer aux points extrêmes du parcours, nous partîmes par un froid matin du Samedi « saint »  par l’itinéraire qui deviendra, au fil des années, incontournable, soit VIENNE et la vallée du Rhône. La « mode » était déjà de descendre cette vallée par la RN 86 … Nous engageâmes cette route dans l’après midi, avec une  brise favorable d’au moins 30 km/h. Les contrôleurs placés sur la route aux alentours de LA VOULTE SUR RHONE furent surpris de nous voir passer avec 2 bonnes heures d’avance et le « tour des remparts » d’Avignon fut effectué avant minuit. La nuit, bien qu’éclairée par une belle mais froide lune « rousse »,  ralentit fortement notre course. Les lampes étaient alors peu puissantes, les piles s’usaient bien trop vite, dès que l’on s’en servait … et, bien sûr, une légère fatigue commençait à se faire sentir. Nous parvînmes quand même au but initialement prévu : CARRY LE ROUET après « seulement » 23 heures de route et il nous fallut poursuivre pendant encore une petite heure. C’est finalement à MARTIGUES que nous « pointions » notre arrivée, après 510 kms parcourus. La suite devait être plus problématique : il nous fallait rejoindre le lieu de la concentration pascale, cette année là aux BAUX DE PROVENCE, avant l’heure fatidique du « discours du président » pour voir notre « Flèche » définitivement validée.  Il restait donc encore une bonne cinquantaine de kms à faire, face au puissant mistral qui n’avait pas manqué de se lever. La chose faillit avoir raison de notre pugnacité : mon épouse au bord des larmes et moi au bord de l’inanition … Petit arrêt, visite de boulangerie et, relancés, nous obtinrent notre première « médaille » … Après un copieux pique-nique, une sieste au soleil et à l’abri du vent, il nous fallut reprendre la route vers le Nord. C’est à BAGNOLS SUR CEZE, après avoir quitté notre ami Gérard, qui, lui, préférait la SNCF à notre compagnie, que nous trouvâmes le gite et le couvert de ce Dimanche soir.

 

 Lundi matin, nous engageâmes la RN 86 en sens inverse de l’avant-veille. L’époque était encore aux traditions et de nombreux collègues la fréquentaient aussi au retour. Tradition aussi : un simple salut au passage et le peloton s’organisait,  chacun, tour à  tour, prenant la tête et se plaçant face au vent … C’est donc dans  de bonnes conditions que nous atteindrons VIENNE, et quittant nos compagnons du jour, que nous nous dirigerons vers nos pénates. Vers GERUGE, à une quinzaine de kilomètres de chez nous, nous entendrons sonner minuit, et entamerons nos derniers efforts vers un repos bienvenu avant la reprise du travail …

 

Dis comme ça, la chose paraît un peu excessive et peu compatible avec une activité « de loisir », mais c’est méconnaître l’exaltation de la réussite, les étranges sensations de la nuit, la certitude que l’on pourrait aller ainsi « au bout du monde » … et, au  final, l’impression « d’être en route » plutôt que de « faire la route » …

 


L’année suivante (1979) était une année de PARIS BREST PARIS … l’aventure était incontournable. Organisée par l’Audax Club Parisien, le règlement était un peu « raide » à mon goût, mais bon … La fréquentation étant particulièrement nombreuse et internationale, il fallait sans doute assurer une certaine « régularité » de l’épreuve. Avant l’inscription, il fallait aussi présenter toute une série de « brevets » allant de 200 à 600 kms … Dès le mois de Mars, nous nous attaquâmes à la chose et ce fut l’occasion, pour ceux de 200 et 400 kms, de rencontrer nos amis bourguignons, anciens coureurs cyclistes , au  rythme certes régulier, mais singulièrement efficace… les moyennes, sur de telles distances et malgré des arrêts conséquents, dépassaient les 25 km/h !!!

 

La série de brevets finissait par celui de 600 kms que nous parcourûmes en guère plus d’une trentaine d’heures. Au moment de faire notre inscription, il fallut choisir notre série et délai maximum : soit 72, 84 ou 90 heures… Parfaitement inconscients, et ne nous basant que sur les moyennes des brevets effectués,  il nous parut  évident que 72 heures suffiraient largement pour effacer ces 1.200 et quelques kilomètres… De plus, l’heure de départ de ce groupe nous épargnait une nuit supplémentaire sur la route … Las, ce départ était celui des «cadors », ceux qui ambitionnaient un temps inférieur à 50 heures ou qui visaient une mention dans les revues spécialisées !!!

 

 Après une nuit médiocre sur place, nous prîmes le départ dans un tout petit groupe (une centaine sur les 2 ou 3000 participants). Josette était la seule féminine de ce départ (cela lui valut la mention dans la revue « le Cycle » qu’ambitionnaient les autres). Le départ se fit, dans la banlieue parisienne, sur route principale et derrière motards … Il fallut nous efforcer de les suivre le plus longtemps possible, au moins pour sortir des agglomérations. La première heure finit avec le 40ème kilomètre. Cet effort excessif me fut sans doute fatal : après avoir repris un tempo plus calme,  le sommeil me gagnât dès la tombée de la nuit et nous dûmes nous arrêter : allongés  à même le talus ou les cailloux, roulés dans nos vêtements de pluie, et réveil mis pour un départ une demi-heure plus tard. La route se poursuivit dans ces mêmes conditions, alternant de bonnes séances de pédale et des « arrêts dodo » intempestifs !!!

 

BREST, Km 600 fut atteint néanmoins en une trentaine d’heure, sans autre problème qu’un début de « problème de selle » réglé « à la chaîne » par des secouristes badigeonnant au mercurochrome les fessiers qui se présentaient. Au retour, las des provisions de bouche remplissant encore notre sacoche de guidon, nous finîmes par nous goinfrer d’un steak frites dans un restaurant routier trouvé aux environs du km 800. Les 400 et quelques kilomètres restant furent les plus longs : je n’avais pas anticipé l’effet cumulatif de la fatigue … Mais nous parvînmes quand même à rallier PARIS dans les temps (à une heure près) pour y retrouver notre ami et compagnon Jean Paul un peu « gazé » par l’effort.

 

Il serait un peu fastidieux de raconter notre retour, en voiture, le jour même, dans notre Jura : se perdre dans la traversée de Paris, aller de parking en parking, de somme en somme, de conducteur en conducteur …

 

Bref, indépendamment de la petite fierté d’avoir réussi l’épreuve, ce fut laborieux et cela marqua les organismes… mais ça apporte beaucoup, quoiqu’on dise : s’organiser, faire avec ses limites, gérer les petits bobos, ses efforts …

 

Et puis, toujours, la nuit en vélo, les confrères de rencontre, soutiens moraux, traçant avec vous la route, les tandems non-voyants, tout ces gens partageant cette même passion et réussissant à vous convaincre que, finalement, vous n’êtes pas totalement dément.


L’objectif suivant fut un peu plus modeste, mais reprenait aussi une course cycliste abandonnée par les professionnels : BORDEAUX- PARIS, organisé en tant que simple randonnée par un club local. J’avais, pour l’occasion (mais pas que) fait monter un nouveau tandem par l’estimable lyonnais Jacques BUSSET … La chose était splendide, et surtout, pesait 5 bons kilos de moins que mon ancienne machine. Le projet fut établi ainsi: départ de Bordeaux à 6 h 00 du matin le Samedi, avec le groupe des « moins de 36 heures », donc pas celui des « sportifs » qui eux ne disposaient que de 26 heures : l’expérience précédente nous avait suffit. Josette, pour l’occasion, sécha, avec l’accord de son inspecteur, son travail du Samedi matin et nous partîmes en voiture pour Bordeaux, le vendredi soir, dès la sortie de son école. Arrivés là bas, une première déception nous attendait : le bus de l’organisation, qui devait nous ramener de PARIS vers BORDEAUX n’était pas réservé et notre ami Jean Paul se dévoua pour conduire et nous suivre avec notre véhicule . Cette assistance nous fut précieuse et je m’engageais à lui rendre la politesse en effectuant, lors d’une prochaine édition, son assistance « course ».

 

Après quelques courtes heures de sommeil sur une pelouse proche du départ, ce dernier fut donné à 6 heures précises à un immense peloton d’environ 600 machines. Pendant les premiers kilomètres, je n’en menais  pas large au sein de cette troupe, au guidon de cette machine qui dépassait tout le monde dans les portions descendantes et se trouvait à l’arrière à la moindre montée. De plus, le freinage de la machine n’avait rien d’immédiat, et, au cœur des villages ou confrontés à des feux tricolores, je n’avais guère que la prière comme viatique, d’autant qu’une manœuvre de ma part risquait fort de ne pas être anticipée par la ou les centaines de cyclistes me collant à la roue. Les cieux nous furent cléments et une route bien plate se présenta après quelques dizaines de kilomètres dans les vignobles bordelais. Les vitesses passèrent « toutes à droite » et la machine prit son régime « de course ». Le premier ravitaillement, situé à environ 140 kms fut atteint à une moyenne honorable (36 km/h). La chaleur de l’après midi, puis la pluie de la soirée ralentit fortement nos ardeurs et Orléans ne fut atteint qu’au cœur de la nuit. Après un repas et un très court repos, nous engageâmes la traversée de la Beauce, vent arrière et à très bonne allure. Tant et si bien que le jour nous trouva pas très loin de l’arrivée. Les derniers villages, déserts à cette heure, furent traversés à vive allure, suivi par les quelques participants ayant émergés de la nuit en même temps que nous. Notre arrivée fut constatée à 7 h 30, soit une demi-heure avant l’ouverture officielle du contrôle et après 25 h 30 de route. Grâce à notre ami Jean Paul qui avait conduit notre « »voiture suiveuse », il ne nous restait plus qu’à rentrer dans notre Jura natal, gérant comme nous pouvions notre besoin de sommeil.

 

La pratique des « grandes distances » nous occupera encore pendant au moins un lustre : Bordeaux Paris, avec une bonne poignée de camarades de club, les « flèches pascales », très régulièrement,  et quelques autres organisations. Puis, en 1983, un nouveau Paris Brest Paris  finit par me passer l’envie ou le goût de ces épreuves, trop souvent réduites à une simple compétition, à la recherche d’un résultat meilleur que celui du précédent. L’affaire n’avait ainsi guère plus de sens que les sorties « sportives » de la majorité des cyclistes que je côtoyais  le dimanche matin. Et puis, il restait tant à découvrir !!

 


Les « grandes distances » suivantes furent plus conformes à l’esprit du maître : les « flèches pascales » ne furent plus guère prises au sérieux et nous préférâmes rejoindre la concentration provençale, hors organisation officielle, avec une petite troupe de camarades… Quelques Bordeaux Paris, entre camarades de club, de grandes balades aussi, avec, pour seul objectif, le plaisir de « sentir » la nuit, de rouler en rêvant, de faire de notre machine un instrument de voyage.