03/06

mercredi 3 juin : quelques nouvelles ...


Au lendemain de sa presque totale libération, le bon peuple avait largement sacrifié à ses habitudes anciennes et loisirs extérieurs. Le bon ordonnancement des parcs et jardins en avait quelque peu pâti. Les gazettes s’en émurent et flétrirent ces mauvais sujets, sans, d’ailleurs, penser aux multiples suppressions que l’on avait faites de récipients à déchets ou de jardiniers attachés à ces jardins.

 

Le lendemain, chacun reparti au travail. Quant aux nouvelles elles nous vinrent des Amériques. On protestait là- bas, en foule, contre de méchants policiers, qui, habitués de violences et attachés au mépris que l’on conservait à l’égard des anciens esclaves, avaient, sous prétexte d’arrestation, tué un pauvre noir. Notre bon peuple, lui, s’en émouvait, sans penser, dans sa grande majorité, à semblables affaires et mortels manquements commis chez nous. Un cortège de protestation se mis néanmoins en marche. Il rencontra les hommes d’armes du Prévôt parisien, qui, menton et regard droit, affirma contre l’évidence que, chez lui, tous étaient des plus respectueux des principes du Royaume, comme de toute loi ou commandement.

 

En haut, on agitait les peurs. La maladie ne faisait plus guère recette, on avait peine à soutenir les dernières craintes, d’autant que les autres royaumes s’ouvraient au plus vite et largement à la visite. Les erreurs et manquements du Grand Conseil étaient patents : chaque jour apportait son lot. Ce mercredi, c’est même une docte étude dont on s’était servi pour appuyer sur la tête du docteur marseillais et ôter sa potion des pharmacies qui avouait sa faiblesse et probable fausseté. Ailleurs, chez les carabins, la colère grondait. Au Conseil, on espérait seulement qu’entre les hargnes des uns et des autres : servants et aides contre médecins et barbiers, on se désunirait ou se ferait concurrence.

 

Pour les affaires et la cassette royale, les peurs étaient bien là, mais, privés de solutions ou espoirs, on ne pouvait guère en dire publiquement. On avait peine à reconstruire l’idée que nous pourrions reprendre à l’identique le cours des industries et commerces. Largesse d’emprunt n’y ferait rien, les manufactures partiraient, l’impôt ne rentrerait plus et même les lombards hésiteraient à remplir les caisses du royaume. La misère du peuple était dans toutes les têtes, on en craignait les effets.

 

On se disait déjà que les rigueurs dans lesquelles on avait tenu le Peuple pour combattre le Grand Mal avait été de bonne pratique. Le parlement à l’écart, toute loi édictée en Conseil et nécessités valant plus que principes avaient permis de tenir fermement le Peuple.

On songeait déjà à en faire prolongation jusqu’à la fin de l’été. Il y fallait encore quelques cas et reprise de maladie : au Conseil, on se mis à prier pour que le mal dure encore un peu.

 

Chez nous :

 

A Pannessières, reprise pénible du vélo entre douleurs et chaleurs : mais bon, le minimum syndical pour pouvoir, dans une bonne semaine, reprendre le cours de mes balades autour des étangs languedociens et, comme d’hab, toujours des sensations agréables : le vent, la nature, les paysages …

 

Hier, une revue de montagne rappelait le 70° anniversaire du premier 8.000 : Annapurna –

Herzog, Terray, Lachenal, les autres … Un ami me rappelait que l’on n’était pas tout à fait sûr du sommet pour Herzog…

 Pour moi, la chose me parut secondaire : il y avait tout le reste. L’équipement ridicule en cette juste après-guerre, les 15 jours de marche depuis l’Inde, l’arrivée dans la vallée de la Kali Gandaki, si profonde que l’on ne voit même pas les sommets espérés, les cartes fausses. J’imagine le travail de prospection, les milliers de mètres de dénivelé accumulés et la précipitation devant l’arrivée de la mousson. Le récit est hors normes …

Une équipe, au départ, organisée sur un modèle stupidement quasi militaire, mais d’extraordinaires bonshommes : l’un qui sacrifie ses espoirs de faire le sommet, les deux autres qui savent que leurs pieds gèlent, la dernière tempête, le sommet sur leurs pieds déjà morts. Ensuite, la descente, le long retour dans la puanteur des chairs putréfiées… Alors, le sommet…

Je pense à ces hommes, leurs moignons, leurs futures godasses de montagne taille 32, la dernière crevasse de Lachenal…

Pour Herzog, l’avenir fut brillant et plus doux, passant même dans un cabinet ministériel. Il n’empêche, il était l’un des leurs.

 

Au fait, j’ai croisé cet homme. Il était Ministre des Sports, on inaugurait près de chez moi une « base de plein air » où l’on « enseignait » voile, canoë, escalade ou spéléologie … Adepte de la dernière activité, mon club de spéléo avait monté entre des arbres un « cirque » de tyroliennes, rappels ou échelles spéléo … Je faisais la démonstration sur les agrès. Intéressé par quelque chose qui lui rappelait la montagne, le Ministre, seul, se déplaça pour la fin de la démonstration. J’étais là, il avait le visage ouvert et souriant, le regard droit. Chez moi, quand on se salue, on se regarde dans les yeux. Je répondis comme à mon habitude en tendant la main, le regard dans le sien. Il fit de même : impression curieuse : son regard et son sourire, et le contact de ma main et de son moignon…

 

A un de ces 4 … mais pas sûr : bientôt en route vers le Sud – Portez vous