2 décembre ... la maladie


2 décembre ... la maladie

 

Très cher ami,

 

En arrivant dans ce pays, je m’étais volontiers prêté aux examens de santé que l’on m’avait demandé. J’avais, de plus, pris cette potion, à laquelle on attribuait le pouvoir de garantir contre les effets du Grand Mal ou du moins contre les plus délétères. Cela devait aussi, m’avait-on dit, me permettre d’obtenir une sorte de blanc-seing m’autorisant à accéder librement aux endroits et lieux de culture que je me proposais de visiter au plus tôt.

 

Je l’attendais encore en me morfondant et je me fis expliquer les arcanes de ce curieux système.

 

On m’apprit que, redoutant un nouvel assaut du Mal, on devait prendre de grandes précautions. Et l'on avait décrété qu'on ne pourrait rien faire sans blanc-seing prouvant soit que l’on était exempt de maladie, soit que l’on avait ingurgité la fameuse potion. Les docteurs, eux-mêmes devaient l’avoir ingurgité pour porter la robe et secourir les pauvres malades. Mais on me dit aussi que la chose n’était ni garantie complète ni même certitude qu'on ne pouvait transmettre ses miasmes à son voisin. J’en demeurais pantois.

 

Je demandais aussi comment l’on faisait pour suivre aussi finement les désordres de la maladie. On me répondit que l’on comptait, chaque jour, le nombre de gens qui, s’étant fait examiner, avait révélé des traces de la maladie. Rapportant ce nombre aux populations des contrées, on exhibait ce chiffre comme valeur certaine, propre à conduire la lutte contre l’épidémie et à justifier toute mesure. On parlait même ces temps d’un nouvel enfermement pour la fin de cette année : on avait compté, depuis deux jours, un nombre considérable et une soudaine augmentation du nombre de gens porteurs de maladie. L’alarme fut donnée et les gens prenaient peur : on fit venir aux lucarnes des savants, des mathématiciens, costume de ville et non robe de médecins, visages fermés, pour commenter la sinistre nouvelle. On oublia de dire que la monstrueuse augmentation du nombre d’infectés potentiels suivait presque fidèlement celle des personnes qui, par obligation nouvelle ou par crainte provoquée s’étaient fait examiner. On était, en ces temps, bien loin des terribles débuts et du premier assaut du Grand mal.

 

Je compris que l’on cherchait, par peur, à obtenir du peuple qu’il fut d’une prudence extrême et qu’il prit sans rechigner une nouvelle ration de potion. Mais ainsi, à ne pas faire appel à la simple raison, ou à crier au feu à toute occasion, on ne se hausse pas et l’on manque parfois son but.

 

La comédie jouée me parut aussi médiocre que la farce politique que je te racontais hier.