à un vieil ami


Guy Coulois est parti


Mon vieil ami Guy Coulois est parti …

Dans l’âge comme l’on dit : 92 ans, je crois…

Pour les gamins qui ne voit dans l’histoire récente que des images abstraites, ça ne dit rien… mais les enfants de cette génération ont connu ou vu l’occupation, les camps de jeunesses du vieux Pétain, les combats et les peurs de leurs ainés… leur adolescence s’est forgée ensuite sans biens matériels, avec comme viatique les sociétés sportives, les loisirs ou baignades atteintes au prix d’heures entières en vélo ou de marche à pied … La suite ne fut guère plus amène : deux bonnes guerres coloniales menées par les vieux parlementaires de la 4°, badernes égarées en politique dans le « marais ». Ces guerres furent de grandes consommatrices des jeunes conscrits du contingent. A l’époque il valait mieux anticiper : les « préparations militaires » permettaient de partir « gradé ». Lui fut « rappelé » et fit ses 27 mois en Algérie dans une unité combattante, mais avec une barrette de sous-lieutenant, qui, je crois, lui sauva quelque peu la mise : dans ce genre d’affaire on ramasse avec plus de délicatesse et on soigne mieux les officiers que la troupe.

 

Je l’ai connu au sortir de cette vilaine époque avec le « Groupe Spéléo Jurassien » - l’ambiance était joyeuse mais spartiate et la matière ne manquait pas : EDF comptait sur le Groupe pour explorer les dessous du barrage de Vouglans en construction… Exploration de la grotte de Menouille, donc, avec tout le matériel utile, machines et explosifs compris : nous apprîmes là des tas de choses qui sortaient des enseignements usuels. La grotte de Nevy sur Seille suivie celle de Menouille, elle aussi avec une débauche de moyens mais aussi et surtout d’énergie musculaire.

Le sous-sol ne suffisait pas à son immense curiosité. Elle était contagieuse et ce fut ce qu’il nous transmit. Il avait dû lire à peu près tout ce qu’il avait pu rassembler de livres sur le Jura, sa géologie, ses lieux et leurs histoires, ses paysages et leurs formations. Nous passâmes autant de temps au-dessus de la terre, qu’en dessous. On apprenait à suivre les alignements de dolines jalonnant les réseaux souterrains, à repérer les éminences ou accidents de terrains qui n’étaient pas naturels ou ceux qui étaient le résultat d’un accident géologique. En prime, quelques balades sur des sites archéologiques…

L’homme était austère et obsédé par le travail … il était difficile à suivre, hors du temps, surtout de l’actuel, sans nul souci de se faire valoir : pas de quoi attirer les jeunes ambitieux qui espéraient trouver dans notre groupe ce qui leur vaudrait reconnaissance ou notoriété personnelle. On faisait du secours spéléo ou des manœuvres en falaises sans avoir besoin d’une structure administrative, on se mettait sans grand intérêt au service d’une colo de vacances ou d’une association. Bref, un reste de ce qui fût une société d’hommes libres mais solidaires, et aussi curieux de tout, observant sans cesse, l’esprit toujours en éveil.

Il avait dû lire plus d’ouvrages sur le Jura que personne, réfléchir et chercher à comprendre pendant au moins 75 ou 80 ans…  Pour lui, l’expression « un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle » n’a pas souvent été aussi juste.

Triste de le savoir parti. Je n’ai plus l’âge des drames : 78 pour moi, 92 pour lui, nous savions la fin de la pièce… mais simplement et infiniment triste : j’aurais bien aimé le voir centenaire …