il y a 57 ans...


Samedi 03 septembre 1966 ...

Samedi 3/09/1966

 

 

Jeune contrôleur stagiaire des Impôts, on m’avait confié, en dépit de mon inexpérience, l’intérim d’une recette de l’Enregistrement (noble institution) pendant les congés de son titulaire : atrabilaire et austère personnage à la vue déficiente.

 

A l’époque, on travaillait le samedi matin et le bureau était ouvert au public jusqu’à 11 heures, le reste de la matinée étant réservé au comptage de la caisse : monnaie, valeurs et stock de timbres fiscaux compris. Ce jour était le dernier de mon intérim et donc celui de l’ultime vérification des valeurs qui m’avaient été confiées. L’opération se déroula en présence du titulaire à qui je devais remettre officiellement ma gestion le lundi suivant au matin. L’affaire fut quelque peu ralentie par sa bassesse de vue et une différence de caisse par rapport à mes écritures de quelques 20 centimes. Je ne pu enfin fermer le bureau que guère avant midi. Il me restait à rentrer chez moi, enfin, plutôt chez mes parents, pour me préparer. Je rassemblais les affaires du jour. Déjà, le complet des grandes occasions … en fait, celui de mon frère, nos morphologies étaient alors parfaitement semblables et les grandes occasions pas si nombreuses. Ensuite, revêtir mes affaires personnelles : le nœud papillon de circonstance, la chemise-plastron qui va avec, les boutons de manchettes et les chaussures. J’étais paré, il ne me restait plus qu’à prendre ma 403, quelques pièces d’argent pour les quêtes et tracer ma route pour rejoindre ma fiancée dans sa ville d’origine. J’avais 22 ans, la tête légère et plus rien sur mon compte bancaire. Ce jour était celui de mon mariage, il y a 57 ans.

 

 

Arrivée à temps, juste à temps, au domicile de ma « promise » - Tout le monde était là : mon témoin, un très cher ami, nos familles et la future mariée en robe de cérémonie, superbe. Gros changement d’ambiance pour moi ... direction la Mairie où nous attendait le Maire lui-même, personnage conséquent et attaché politiquement à notre célèbre « jurassien » Edgar Faure. Je devais de me sentir flatté qu’il procède en personne, je le devais à mon beau-père, conseiller municipal.

Je n’eus guère le temps de me mettre dans l’esprit et l’ambiance du jour : l’homme était industriel, peut-être un peu en délicatesse avec les Impôts. Ma profession lui rappelant sans doute de mauvais souvenirs, son discours en fit largement écho. Je n’avais guère la tête à m’en soucier, on passa aux formalités et signatures…

Pour la suite, il fallait traverser la rue, marcher, cortège informel, jusqu’à l’église toute proche. La messe était dite par le curé Mermet, autre personnage conséquent, curé de choc, curé de campagne, respecté de tous, ses ouailles comme les autres…

 

Athée incertain à l’époque, je n’accordais aux rites et aux choses pas plus, ou même moins que la valeur absolue de la foi jurée. J’avais l’âme simple, comme celle de ces jeunes enfants qui se disent, et souvent restent amis, « à la vie, à la mort ». Le reste était convention, ornement. La partie ornementale, justement, fut donnée par l’épouse du parrain de ma chère et tendre. C’était une brillante violoniste, elle fit résonner les voûtes de l’église d’une musique sublime. J’eus ainsi la satisfaction de ne pas entendre massacrer la marche nuptiale de Mendelssohn … Le cher homme, s’il avait su que sa musique, jouée par tous les organistes, même les pires, accompagnerait tous les mariages, ratés ou non, l’aurait-il composée ?

 

Sortie d’église, moment de grâce, et direction le resto … Dans le haut, on mange bien, ou plutôt riche, on boit suffisamment … les familles mangent et parlent, j’ai la tête ailleurs, mon épouse aussi, je pense.

 

Reprise enfin, sur le tard, de la 403 désormais conjugale et direction l’école de Champvaux – Barretaine où mon épouse devait prendre son service à la rentrée toute proche. L’école elle-même occupait un petit bâtiment récent, de plein pied. Le logement de fonction, lui, se trouvait dans une maison voisine. En bas, une grange ventée dont le mur présentait quelques lacunes. Au-dessus, la chambre était habitable. La fenêtre regardait plein Est, donnant sur un vaste paysage.

La journée finit là…. Dimanche au réveil, l’air était léger, transparent, la vue portait, au-delà du plateau, au-delà même des Monts Jura, sur la pyramide parfaite du Mont Blanc.

 

La perfection était dehors : elle nous entraina, nous deux et notre 403, autour du lac Léman pour une journée de détente. Le lendemain, il me fallut retourner au bureau, remettre, cette fois-ci officiellement, mes comptes de gestion.

 

La noce était passée, cette journée fut quelque peu surréaliste : j’ai du mal avec les conventions : les choses de la vie ne sont pas choses convenues. Et puis, dire que ce jour est « le plus beau de sa vie » c’est sans doute beaucoup, c’est aussi ignorer, dans mon cas, les 20.820 de notre vie commune.

Mais cela n'empêche pas d'en commémorer le souvenir. Après tout, il faut bien une date pour les anniversaires. On en a créé pour tous les sujets : ce 3 septembre, on nous a inventé une journée mondiale des gratte-ciels, demain, ce sera celle de la santé sexuelle ; ça ne s’invente pas !!!

 

Moi, je garde précieusement ce 3 septembre comme celle de notre anniversaire.