En prose et contre tout
« Les vieux ne parlent plus... »
Quelle connerie, Jacques, toi qui chantais cela,
Si tu avais vécu jusqu’au grand âge, te tairais tu ?
Ou comme l’on se doit, gueulant, majeur levé, fuyant d' inutiles diagnostics, protocoles et Epadh.
Le lit, les questions imbéciles, les propos abjects.
« Il n’a pas mangé son yaourt, il n’a pas bu
il a bien pris ses médicaments
il ne veut pas se lever, il faut bouger un peu,
Il devrait aller faire les activités »
Pourquoi pas des colliers de nouilles
Et ceci avant le définitif : « Il a déjà eu une couche ce matin »
La machine à broyer guette, ce n’est pas une raison pour la fermer.
Médecins, séides, sinistres cuistres, dominants,
nurses dévouées, dominées
Tous ignorant que les pauvres épaves qu’ils infantilisent
Ont lu et étudié des œuvres qu’ils ignorent ou négligent,
Livres musiques et peintures.
Parfois de simples bacheliers, bibliothèques.
Tragédies, pièces, poésie, grands auteurs
Rabelais ou Voltaire, Hugo ou Du Bellay,
et aussi François de Montcorbier
Qui savent peut-être encore,
Alzheimer à moins de quatre,
Des poèmes entiers, el desdichado Nerval
Et ceux de la Pléiade.
Qui se savent dans le bateau ivre,
celui du jeune Arthur
« …, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau »
Tellement d’autres choses.
Savent-ils ces crétins, ce qu’ils furent,
ce que nous fûmes
Bébé, enfants, tendres années, temps de guerre
« Les cieux crevants en éclairs, et les trombes et les ressacs et les courants… »
ou « Soleil bas taché d’horreurs mystiques … »
Jeunes années, oubliées…
L’après-guerre, tickets d’alimentations, peu d’argent,
pour beaucoup pauvre logis,
wc au bout du couloir, cabane au jardin
Puis de nouvelles richesses,
les temps heureux, les espoirs
Monde joyeux, fraternel, Europe en paix,
Richesses partagées, maitrisées
La musique, la liberté,
Insouciance, quelques années,
Des luttes aussi, pour un monde juste...
« J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont béni mes dérades
Et d’ineffables vents m’ont aillé par instants »
Fol espoir :
Plus d’espoir,
La suite fut amère,
plus de nobles principes,
Individus, industriels,
financiers, mercantis.
Face à eux le mépris, d’abord,
l’impuissance, bientôt,
Plus rien à faire…
plus de forces
Et vint l’âge.
Tristesse …
fin de l’amour de vie,
fin du poème aussi
« Mais vrai, j’ai trop pleuré. Les aubes sont navrantes
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Oh ! que ma quille éclate, oh ! j’aille à la mer. »
« Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide, où, vers le crépuscule embaumé,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai »
« Je ne puis plus, bercé de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes
Ni nager sous les yeux horribles des pontons. »
***
C’est dit, pour mes obsèques, j’enregistrerai et dirai moi-même l’intégrale des 24 strophes du
Bateau Ivre, Comprenne qui peut et bien fait pour vous …