Anniversaire, commémoration...


Commémoration ( du 3, pas du 6 !)


3 juin 1950 - le premier 8.000, l’Annapurna, est vaincu, et il est français…

 

C’est cela que l’on retient alors ..

 

 

Pourtant ce n’est rien à côté du récit, même contestable, qu’en a fait Herzog : la singularité de cette expédition, son côté aventureux, comparée à la rigueur et la puissance de l’expédition qui atteindra 6 ans plus tard le toit du monde.

 

Herzog, Rebuffat, Terray, Lachenal, les autres … Un ami me rappelait que l’on n’était pas tout à fait sûr du sommet pour Herzog… On pense aussi, et je le crois volontiers, que le succès fut pour beaucoup dans l’attachement héroïque de Lachenal à son métier de guide.

 

 

Pour moi, la polémique me parait finalement secondaire : il y a tout le reste. Leur équipement ridicule en cette juste après-guerre : les tenues sont encore au musée de Pokhara et elles ne conviendraient même pas à un de nos modernes randonneur.

 

Il y a aussi les errances, le changement de « cible » : l’Annapurna ne vient qu’après les essais sur le Dhaulagiri. Les 15 jours de marche depuis l’Inde, ensuite, l’arrivée dans la vallée de la Kali Gandaki, si profonde que l’on ne voit même pas les sommets espérés, le travail de prospection, les cartes fausses. J’imagine ce travail, les milliers de mètres de dénivelé accumulés, la précipitation devant l’arrivée de la mousson. Le récit est hors normes…

 

Et il y a l’erreur fondamentale, celle d’une trop vieille société sortant de la guerre. L’équipe est organisée sur un modèle stupidement militaire avec un « chef désigné », pas forcément sur ses capacités d’alpiniste, seul responsable et seul autorisé à rendre compte. Sous son « autorité », d’extraordinaires bonshommes, les meilleurs montagnards, de fabuleux grimpeurs, tous attachés aux « lois » de l’alpinisme : l’un sacrifiera ses espoirs de faire le sommet. Pour les deux derniers, seuls, le dernier assaut. La dernière tempête, ils savent que leurs pieds gèlent, le sommet est atteint sur leurs pieds déjà morts. Ensuite, il y aura la descente qui ne les tuera pas, puis le long et douloureux retour vers la civilisation dans la puanteur des chairs putréfiées, les amputations …

 

Alors, le sommet, la gloire …L’époque voulait des choses simples, il fallait un vainqueur : le chef … C’est ainsi que l’on a « abîmé » la plus extraordinaire des histoires d’alpinisme…

Il n’empêche, pour les gamins de ma génération, ils étaient tous des dieux.

 

Je pense à ces hommes, à leurs moignons, à leurs futures godasses de montagne, si courtes, aux courses folies de Lachenal avec de telles chaussures, à sa dernière crevasse.

 

Pour Herzog, l’avenir fut brillant et doux, Un bouquin, une couverture de Paris Match, la célébrité que voulait son statut de « chef désigné », et bien sûr la rancœur de ses compagnons, eux que l’on avait obligé par contrat à rester en dehors du récit. Avec tout ça, il accédera aux cabinets ministériels : bel avenir, mais pour lui seul.

 

Il n’empêche, polémique ou pas, il était l’un des leurs : égal dans l’effort et la souffrance.

 

 

 

Au fait, j’ai croisé cet homme. Il était alors Ministre des Sports et l’on inaugurait près de chez moi une « base de plein air » où l’on « enseignait » voile, canoë, escalade ou spéléologie … Adepte de cette dernière activité, mon club de spéléo avait monté entre des arbres un « cirque » de tyroliennes, rappels ou échelles spéléo … Je faisais une démonstration sur ces agrès. Intéressé par quelque chose et du matériel qui lui rappelait la montagne, le Ministre, seul, se déplaça pour la fin de la démonstration. J’étais là, il avait le visage ouvert et souriant, le regard droit. Chez moi, quand on se salue, on se regarde dans les yeux. Je répondis comme à mon habitude en tendant la main, le regard dans le sien. Il fit de même. Bizarre : son regard et son sourire, et le contact de ma main sur son moignon. Mais surtout, l’émotion d’avoir approché un homme de toutes façons exceptionnel…