MAROC 1995


Il y a 30 ans - le MAROC avec Michel G


Maroc – 1995 il y a 30 ans…

 

Je croyais avoir mis sur mes carnets de voyages l’ensemble de ceux-ci, du moins ceux qui avaient compté – je me trompais, il manquait cet inoubliable, notre premier « trek » au Maroc, dans le massif du Toubkal. Il est vrai que c’était l’œuvre de mon ami Michel G. Pourtant, combien cette expédition avait compté, tellement hors normes, tellement chargé d’’affect…

 

 

Au départ, il ne s’agissait que de suivre ce cher ami … son esprit vagabondait et se tournait vers l’inconnu, l’improbable… C’était un ami, on ne pouvait le laisser seul. De toutes façons, dans l’affaire chacun y trouvait son compte.

 

 Sa patientèle comprenait quelques marocains, en famille, et comme souvent, dans son cas, des patients-amis… Cela faisait une adresse là-bas, donc, des personnes investies dans le tourisme. L’affaire était faite (pour lui) : billet d’avion, accueil à Marrakech chez eux. L’époque était heureuse et peu stricte pour des motifs religieux : je crois que les petits cadeaux comprenaient des grands crus issus de la cave de Michel.

Accueil heureux et familial donc, avant un départ en taxi le lendemain vers OUIRGANE, localité trouvée un peu au hasard sur le Guide du Routard, de même que l’hôtel retenu pour la semaine : « au sanglier qui fume » (comme moi).

 

La première journée ne fut guère enthousiasmante : les propositions de « guides » touristiques abondaient, mais c’était pour une visite automobile (à 7 plus le chauffeur dans une Mercedes standard). Un site, un lac et retour à l’hôtel à la tenue et au confort tout à fait occidental… D’autres guides nous étaient proposés, mais jamais pour ce que nous voulions faire : marcher dans ces montagnes, dans cette vallée parallèle à celle d’IMLIL et relativement proche du massif du Toubkal. Sombre soirée, nous étions décontenancés. Curieusement Michel G n’était pas inquiet et prétendait qu’un guide à notre goût viendrait bientôt .. il est vrai que le personnel de l’hôtel connaissait nos espoirs et peut-être …

 

Il avait raison : assis pour le petit déjeuner, vint à nous un jeune garçon : Abdullatif, je crois, qui se présenta et s’offrit pour nous servir de guide. Il était déroutant : à chaque interrogation, il répondait par l’affirmative, jusque et y compris pour une sorte de Trek d’une petite semaine incluant la montée vers les 4000 mètres du Toubkal … Tout était changé : L’hôtel accepta sans problème une réduction de notre réservation et, le temps de se préparer un petit sac avec changes et affaires de toilettes, nous partîmes derrière notre jeune guide jusqu’à sa maison située dans un hameau à une petite heure de marche. Le côté technique était limité : côté nourriture la douzaine de boîtes de sardines, signature du jeune G.. et un cabas de 5 ou 6 kilos de grenades : c’était la saison. Côté technique, une carte d’état-major de l’époque coloniale…. Arrivés chez les parents, ils préparèrent la mule, superbe bête, pendant que l’on nous conduisait au plus haut de la maison : terrasse en angle, surveillant les alentours. Le seul souvenir que j’en garde fut ce premier contact avec la galette de ce pain marocain de ménage au goût si particulier qu’il m’arrive encore parfois de regretter …

 

 

Départ, enfin : Michel G, donc, son épouse  (entre amis d’origine rurale et comtoise « la Suzon »), peu habituée à ce genre d’expédition, Patrick G et les Mathieu… Nous engageâmes une vallée de jardins et de fruitiers : des noyers, surtout, en suivant ce qui devait être des passages de simple usage aux limites des parcelles. Notre équipage avançait, sans que l’on puisse faire correspondre ce que nous supposions d’après la carte d’état-major et les intuitions de notre jeune guide… Quelques heures et nous aperçûmes, à gauche, un village. Grosse agitation à l’approche des maisons : Un homme, remontant de son jardin, avait chut et son outil, semblable à un de nos sarcloirs (« fesou ») avait sérieusement entamé son cuir chevelu : du sang et le cuir chevelu décollé …… Une fois les compétences professionnelles de Michel G connues, on fit chercher la trousse (caisse) de secours du village et l’infirmière chargée de veiller sur elle… l’intervention se fit sur place en extérieur et suivie d’un peu loin par la population … nettoyage, couture, : la blessure était légère, le problème résolu .. Mais on nous expliqua que, dans ce village, en cas de problème sérieux, il fallait bien compter quelques heures à dos de mule avant une prise en charge possible par véhicule tout terrain…

 

Retour au trek : on nous a trouvé le gite, le couvert et tout ce qu’il faut, dans les mêmes conditions que si nous avions fait appel à une agence « normale » … un peu surprenant … au fil de nos discussions avec le jeune Abdulatif, nous finirons par comprendre comment il faisait pour nous trouver tout cela …. En fait, parlant avec tous, il se présentait… son nom et sa famille étaient bien connus dans la région. Je crois me souvenir qu’un de ses oncles était un imam connu et célébré… quelques explications sur ses (nos) besoins et chacun s’appliquait à lui faciliter les choses, nous loger, lui expliquer le chemin, les villages et les pistes de sa prochaine étape… Bref, nous rangeons l’unique carte et nous suivrons, à ses côtés et au pas de la mule, en nous contentant d’une pause prandiale agrémentée de nos grenades, de quelques sardines de la provision G.. et bien sûr d’une galette de cet excellent pain de ménage … Au demeurant, les repas du soir apportaient en suffisance les calories utiles à l’exercice … La saison était bonne, les tajines superbes et abondantes, enrichies de tous les légumes, coings compris. Bref, nous eûmes quelques journées heureuses avant de rejoindre les hauteurs surplombant IMLIL.

 

Peu de choses à dire sur ces douces journées : nous discutions beaucoup avec notre jeune guide : les usages du pays, la vie dans les villages … beaucoup de questions en retour de sa part… et au passage il apprend que nos deux consœurs sont institutrices : nous visiterons donc toutes les écoles sur notre route. ¨petite surprise pour Suzon : dans une école « laïque et obligatoire » (?) qui nous accueille, on étudie les verbes du premier groupe, comme chez nous, dans sa propre classe…

 

Je ne sais si nous avions, comme tous le conseillaient, apporté quelques fournitures scolaires : le sujet d’un échange courtois sur le sujet : « on a ce qu’il faut et de plus, on préfère avoir la main sur le choix des fournitures’ ». C’est évident, un don à la coopérative de l’école est surement préférable. Autre école visitée : l’école coranique, la parenté d’Abdulatif a sans doute permis cela… L’échange est plus limité ; les enfants lisent à haute voix les écritures. L’Iman, bonhomme, surveille cela tout en coupant et peignant soigneusement les cheveux de l’un des petits… petit instant surréaliste : nos consœurs, il fait chaud, sont bras nus, la tête aussi sans doute et nous sommes ici comme des martiens au sortir de leur soucoupe … Je n’ai lu aucune réprobation de cet homme : des « extraterrestres » peuvent sans doute avoir un comportement bizarre....

 

Au bout de ces quelques jours, nous voilà au pied du Toubkal. On se lance sur le sentier conduisant au refuge « du CAF » situé à plus de 3000 mètres. Beaucoup de monde sur le parcours. Je ne suis pas sûr que notre équipage, formé en dehors de toute organisation de guides professionnels soit bien vu. Notre mule n’est pas la bienvenue : il lui faudra ruser pour poser le pied et sur un virage, elle a failli se faire mal. Abdulatif frémit : une mule c’est un patrimoine … Ouf ! elle reprendra la montée sans problème jusqu’au fameux refuge.

Arrivé là, bien sûr sans réservation, nous sommes rapidement fixés : on pourra se restaurer, mais pour le couchage, nous devrons nous contenter, comme les guides et porteurs, d’une place à même le sol dans la salle du restaurent. Impressionnant : sitôt le service terminé, on agence la salle : sol carrelé, les tables réunies pour former un second étage et tout aussi rapidement, la place sera entièrement couverte de dormeurs (enfin, ceux qui peuvent) Les gens sont sympas : on nous a laissé une bonne et vaste place… je trouve que nos consœurs encaissent bien le choc … passer de ce qui était un voyage touristique ordinaire à une telle aventure nécessite une bonne capacité d’adaptation.

Mais enfin, le repas était bon, inespéré à une telle altitude, alors…

A ce propos, avant de passer à table, nous avions échangé avec un jeune couple que notre polyglotte de Michel G avait entrepris.   Ils paraissaient paumés, et c’était effectivement le cas … Mis en garde contre les nourritures locales sans doute pleines de bactéries redoutables, ils ne mangeaient que des aliments lyophilisés préparés avec de l’eau soigneusement bouillie. C’était la panne et ils étaient exsangues. Après avoir vainement tenté de leur proposer des pâtes cuites à l’eau bouillante, on ne trouva que des pommes à leur soumettre, en leur expliquant que, soigneusement épluchées, elles seraient exemptes de tout danger. Mais Michel G dû leur apprendre à pratiquer l’opération… Pas évident de passer de Boston aux sommets de l’Atlas.

 

 

Pour le lendemain, restait l’ascension … bien sûr, il ne s’agit que d’une progression sur sentier essentiellement, mais Suzon n’avait jamais pratiqué à un tel niveau…Finalement elle tenta la chose, et je l’accompagnais volontiers : à l’époque, je fumais encore mon paquet journalier et, pendant qu’elle faisait une pause pour un petit repos, j’en profitais pour en griller une. Nous parvînmes donc tous au sommet avec, pour elle, la victoire sur un premier 4.000. La descente fut plus rapide et, pour éviter une nouvelle nuit inconfortable, nous descendîmes sur IMLIL sans autre arrêt qu’une petite pause dans un village. Le café était tenu par un rouquin, couleur inhabituelle dans ces contrées. Voyant ma chevelure, nous sympathisâmes et je repartis avec sa carte de visite au nom d’Omar le Rouge et un petit sac de noix…

 

 Fin d’étape à IMLIL et recherche d’un logis… Notre jeune guide ne nous trouva qu’un établissement qui était en reconstruction après avoir subi la fureur d’une inondation. Le bas avait l’air bien refait, et puis, après avoir donné notre accord, nous vîmes le restaurateur courir faire ses courses, rassembler les légumes, nous faisant espérer un couscous exceptionnel : ce fut bien le cas … C’est vrai que côté bouffe, les choses furent souvent exceptionnelles… La soirée fut plus difficile et la déconvenue fut double : en déchargeant la mule, un sac, celui de Suzon manquait : le départ du refuge avait été rapide, et le chargement incomplet. Quant au couchage, aucune chambre n’avait été refaite et il nous fallait encore cette nuit coucher sur le sol, sur un mauvais matelas, à l’étage sinistré, huisseries et fenêtres remplacées par quelques panneaux. Ça faisait beaucoup, l’affaire finit par un rire, sans doute un peu nerveux. Notre jeune guide cependant nous assura que le sac manquant serait retrouvé… Je ne sais comment, mais il finit par nous assurer qu’il nous serait remis le lendemain matin, sur le marché local.  Je suppose qu’il avait été retrouvé et que le personnel du refuge, venant à l’approvisionnement le lendemain le descendrait… Ce fut bien  le cas, et cela nous permis de visiter le marché local, peu touristique mais envahi de vendeurs de souvenirs qui s’attachèrent à Michel G en grand nombre… Abdullatif avait bien du mal à écarter tout ce petit monde… et nous reprîmes notre marche pour la fin de notre périple sous un soleil pesant, trop pour le jeune G, visage bien rouge, crâne et nuque protégé par des mouchoirs noués… Notre troupe, bizarre assurément, était une attraction, saluée par la jeunesse locale …

 

Petit arrêt près d’un local très animé … en fait, on y préparait de la farine, ou semoule, en broyant le grain sur une meule en pierre, semblable, sans doute à celle des premiers âges … Bien sûr Michel s’attela à la chose et tourna la meule avec conviction … Curieux spectacle sûrement pour les locaux : je me demande s’ils en parlent encore … 

 

Le souvenir de ces moments me sont précieux. Michel avait cet enthousiasme doublé d’une bienveillante candeur qui bousculait toute choses. S’il prêtait à rire, parfois, c’était toujours accompagné d’un élan de sympathie de la part de ses interlocuteurs. Il était bien le seul à faire cela…  Et puis, au cas particulier, ça met le doigt sur une évidence souvent négligée : touriste, s’il vous arrive de regarder les autres comme une attraction, c’est bien évidemment vous qui en êtes une pour eux : laissons leur ce plaisir….

Nous quittons les lieux sous les yeux de toutes les filles du village : un spectacle comme cela, ça ne se rate pas… et puis, nous sommes en pays berbère, les filles sont en cheveux, au moins en partie et leurs tenues sont superbes et colorées. Le retour d’OUIRGANE se fera sans autres visite, à part un passage que j’ai eu du mal à décoder : on exploitait à priori une veine de sel de terre affleurant ici. Eux, au moins, n’avaient pas besoin de réduire la saumure en faisant du feu…

L’hôtel du « sanglier qui fume » nous attendait, sa cave et son whisky, pour cette dernière soirée. Les douches de l’hôtel ne suffirent pas … Notre jeune guide trouva le moyen de « privatiser » le Hamann du village, entre l’heure des garçons et celle des filles afin de nous offrir, à toute l’équipe, lui compris, une séance, savon noir et vapeur récupéré du four local.

 

 

J’ai un peu occulté la séance d’adieux et le retour au pays… Un dernier détail, cependant. Nous étions partis avec une provision de galettes de cet excellent pain de ménage. Dans l’avion, sur un petit coup de nostalgie, je déballais un de ces pains… Immédiatement, le steward vint, mais c’était pour le partager avec nous… nostalgie aussi pour lui …