Un courrier de ma mutuelle

D’habitude, je n’y prête guère attention : Ma mutuelle a connu bien des évolutions et elle est passée de nos réunions annuelles, conviviales, où nous débattions et décidions encore âprement avant boire, à des liens plus distants, plus administratifs et désormais informatisés … de la « Mutuelle des Agents de l’Enregistrement » à l’actuelle, les choses avaient bien changé … mais il restait encore un peu des principes anciens : un correspondant, un accompagnement et qui sait, peut-être encore quelqu’un d’attentif au bout de la ligne… Je m’en étais passé jusque-là, alors, pourquoi lire cette lettre, plutôt que les autres…
En fait, elle m’informait : Nos sages gouvernants avaient décidé que tout employeur devait prévoir et offrir à ses salariés un organisme lui offrant une « complémentaire santé » apte à compléter l’intervention de la Sécurité sociale, désormais incapable de tout prendre en charge. J’en avait entendu parler, c’était justement ce que faisait déjà ma mutuelle et je n’avais pas gardé cette information. C’était compter sans les doctrines actuelles, de Macron ou d’autres… je laisse parler ma lettre mutualiste ; « En effet, et contre toute attente, notre ministère a fait le choix d’une complémentaire santé, gérée par un nouvel opérateur à but lucratif dont le fonctionnement repose exclusivement sur des échanges numériques. Cette start-up est financée par des fonds internationaux et depuis sa création ses résultats sont déficitaires ...»
Pour le reste, tout va bien : comme retraité, je peux garder ma mutuelle sans problème ni formalité … je respire, le problème est pour les autres, et après tout, bien fait pour eux : nos mutuelles, les syndicats qui les soutenaient, tout à fait ringards, étaient délaissés et n’étaient plus de taille …
Et puis, les choses étaient prévisibles : les organismes sans but lucratif et pourquoi pas, faisant appel au bénévolat, étaient une insulte à Mercure. Pour le dieu du Commerce il fallait le profit, maximal, des financiers toujours plus intrépides et des bailleurs de fonds toujours prêts… Les choses avaient un peu dérapé : usines au loin, chez de quasi-esclaves, financiers fous allant de bulles en bulles et fonds « vautours » exigeant, en retour, des rendements au double ou triple de ce qui, au plan obligataire, était vilipendé comme usuraire… Emballée, donc, la machine avait gagné, dominé toute l’économie, et accessoirement le pouvoir, qui lui était attachée… C’était devenu le Dogme, exclusif de tout ce qui avait scellé les sociétés anciennes.
Cela me rappelle une ancienne farce faite à mon « banquier ». J’aimais à être parfois « pince sans rire » : il me connaissait peu, et m’avait contrarié. Je m’étais alors drapé dans une solennité contrefaite, en déclarant que, décidément, « la religion avait perdu beaucoup de sa crédibilité le jour où elle avait cessé d’excommunier les banquiers » … le pauvre en était, évidemment, resté quoi et j’en avait ri plusieurs jours, (aujourd’hui encore : sortir un truc pareil sans rire il fallait être vraiment « tapé ») ….
A ceci près que l’on peut rêver de l' intransigeance ancienne de cette église (ou de sa version "laïque"). Et l'on imagine : nos financiers ou décideurs, servants d'un culte au profit sans partage, si éloigné de la solidarité, de la " fraternité " de notre ancien dogme, seraient, à n’en point douter, considérés comme de méchants et dangereux hérétiques… et je les imagine, excommuniés, puis liés au bûcher, dans la bure enduite de poix et livrés aux flammes purificatrices avec, devant les yeux, la petite image de notre juste foi.
Bon, assez déliré… ce n’était qu’une petite lettre, d’une mutuelle qui restait mienne, assez insignifiante dans le merdier actuel. A peine un glaçon détaché d’un iceberg… juste que l’esprit est le même et que cela me dérange…